Le ministère américain a fondé en 1958 une agence spécialement destinée à rattraper le retard des USA par rapport à l’URSS dans le domaine des fusées à longue portée. C’est le début d’une histoire de hardware, de software et de dollars qui mènera à la mise en place d’un système inouï : Internet. L’agence en question est l’Advanced Research Projects Agency, l’ARPA.
La grande invention de l’internet
L’ARPA ne s’occupe pas uniquement de fusées et de moteurs à réaction. En 1958, les systèmes techniques sont devenus tellement complexes — et spécialement dans le domaine « aérospatial » —que l’on fait de plus en plus appel à des calculateurs électroniques pour les études de design, et ceci nécessite un développement de ces machines de « traitement de l’information ». Pour avoir les meilleures fusées, il faut avoir les meilleurs computers. En 1962, l’ARPA installe l’IPTO, l’Information Processing Techniques Office, chargé de la question des calculateurs. Joseph Licklider (1915-1990) est nommé directeur de cette nouvelle structure. Il avait été un des principaux ingénieurs développant le SAGE, c’est-à-dire un système « Semi Automatic Ground Environ-ment» pour observer en permanence d’espace aérien, pour prévenir toute attaque soviétique.
Les calculateurs sont des machines puissantes, mais chères. Il faut donc les utiliser parcimonieusement. D’où l’idée de les interconnecter, pour pouvoir utiliser toutes les ressources de ces machines. Et puis, nous sommes chez les militaires. Ils savent que l’ennemi peut frapper n’importe où sur le territoire américain, comme l’a démontré la mise en orbite du Spoutnik. Il serait catastrophique qu’un ordinateur (pour parler français) contenant des données importantes soit détruit par un missile soviétique. Mais si on interconnecte les ordinateurs A et B, la destruction éventuelle de A n’empêche pas B de continuer à « traiter l’information », si du moins l’interconnexion a fait passer les données d’un ordinateur à l’autre.
Le web connecte les machines
C’est un projet très stimulant que cette interconnexion de machines, d’abord sur le plan stratégique, et aussi sur le plan purement intellectuel. Il est déjà très difficile de faire communiquer un homme et une machine, mais l’on y parvient grâce au logiciel. Faire communiquer une machine avec une machine, éventuellement distante de milliers de kilomètres, paraît plus compliqué encore !
À vrai dire, ce n’est pas si nouveau que cela. Un réseau téléphonique est un système technique world-wide qui fait communiquer des commutateurs situés quelque part avec tous les autres commutateurs du monde! Car on peut téléphoner, à partir de New York, aussi bien à Berlin ou à Moscou qu’à Detroit ou à Boston. Il s’agira donc de faire la synthèse entre les techniques téléphoniques et les techniques « informatiques ». C’est ce qu’entreprend de faire l’IPTO, en 1962.
Les ingénieurs américains calculent. Ils conçoivent. Ils font des essais. Ils aboutissent. En 1969, ils réalisent la mise en service d’un réseau d’ordinateurs, l’ARPANet (net signifiant « réseau » en anglais). Quatre ordinateurs sont reliés et communiquent entre eux, situés respectivement à Los Angeles, à Stanford, à Santa Barbara et à Salt Lake City. Il s’agit bien sûr d’un réseau auquel n’ont accès que les militaires, et aussi quelques rares universitaires qui ont été associés aux travaux de recherche et développement.
ARPANet ou les prémices de l’internet
En 1972, la Defense Advanced Research Projects Agency, DARPA, succède à l’ARPA, ce qui ne change guère le travail, qui se poursuit, pour développer l’interconnexion entre les ordinateurs. En octobre de cette année, la DARPA organise la première démonstration publique du réseau ARPANet.
En 1973, la DARPA lance un nouveau programme de recherches, sous l’appellation « Internetting project» pour l’interconnexion de réseaux. Non seulement on relie des ordinateurs pour former un réseau, mais on relie les réseaux pour former un super-réseau. Le vocable « internet» apparaît dans le vocabulaire des ingénieurs.
Dix ans plus tard, les progrès sont considérables, et les problèmes à résoudre deviennent d’une complexité énorme. Un comité est créé, en 1983, pour poursuivre la construction harmonieuse d’un réseau de réseaux, l’IAB, ou Internet Activities Board. La principale tâche de cette organisation est de développer les outils logiciels nécessaires, en particulier les protocoles de communication. Un « protocole » est un ensemble de règles de comportement, exactement comme le protocole, dans le langage courant, indique comment il convient de se comporter dans une assemblée. Quand deux ordinateurs communiquent, il faut une règle pour savoir qui commence l’émission, ce que l’on fait en cas de problème de transmission, comment on signale que l’émission est terminée, etc. Les principaux protocoles développés par l’IAB constituent le TCP/IP : Transmission Control Protocol/Internet Protocol.
Les travaux se poursuivent, toujours sous l’égide du DoD, et toujours pour les seuls militaires. Cependant, de nombreuses universités américaines ont également accès au réseau Internet. Les firmes commerciales et les particuliers ne sont pas autorisés à s’y connecter.
Jusqu’en janvier 1994. A cette date, le gouvernement américain, qui n’a plus les mêmes soucis de défense depuis la chute du mur de Berlin, décide de rendre le réseau Internet accessible à tous. C’est que les dirigeants du monde industriel ont compris l’immense potentiel de développement économique d’un réseau qui permet de transmettre de l’information, presque instantanément, d’un point quelconque du globe terrestre à toute autre station.
Internet est né
Petit à petit, aux USA et partout dans le monde, des « Inter-net access providers» se créent, sociétés commerciales qui vont se charger d’assurer le contact entre des utilisateurs quelconques (y compris des personnes privées) et le réseau Internet. Car Inter-net n’est pas un fantôme. C’est une infrastructure qui parcourt le monde entier formé de câbles de cuivre, de fibres optiques, de faisceaux hertziens, de satellites de communication, de routeurs et d’ordinateurs qui enserrent le globe terrestre comme une immense et prodigieuses toile d’araignée: Web, en anglais. Et l’accès au Web a un coût, comme n’importe quoi, ici-bas.
Que conclure du fait que si, aujourd’hui, des milliards d’humains communiquent leurs idées, leurs photos, leurs vidéos et leurs musiques à l’aide d’un petit écran et de quelques touches alphanumériques, c’est parce que, à la fin de l’année 1957, des Américains ont eu très peur ?